Installés depuis presque deux ans dans un des quartiers les plus pauvres de la capitale, nous militons pour l’accessibilité à l’alimentation durable sous la forme d’une initiative citoyenne autour d’une épicerie coopérative. Grâce à l’éducation populaire et aux principes du supermarché coopératif et collaboratif (acquisition de parts sociales et partage des tâches), nous avons réussi à mobiliser des bénévoles et les habitants (plus de 100 coopérateurs) qui font vivre un lieu de sociabilité dans un quartier qui n’en comptait plus, tout en proposant des produits de qualité (épicerie, hygiène, crémerie, fruits et légumes frais) à prix réduits. Et pourtant, nous sommes aujourd’hui en procédure de liquidation judiciaire…
Comment en est-on arrivé là ?
Depuis cinq ans, nous avons parfois fait face à l’incompréhension des pouvoirs publics quant aux fondements de notre initiative, voire même à leur mépris caractérisé. Malgré plus de 1 600 signatures à notre pétition initiée au mois d’avril, des articles de presse et autres reportages vidéo, des dizaines de témoignages et le soutien des habitants et de quelques rares élus, la Ville de Paris semble confirmer son désintérêt pour les initiatives au sein des quartiers pauvres, ne nous permettant pas de mettre en œuvre une alternative aux distributeurs traditionnels et discount dans cette zone.
Notre dette à Paris Habitat
D’abord prévu comme une escale vers un autre local, dont l’aménagement était assuré par l’obtention du budget participatif dont nous avons été lauréats (300 000 € fléchés investissement, jamais perçus), nous nous installons en août 2021 rue Félix-Terrier, dans le 20e, dans ce pied d’immeuble “commercial” livré brut de béton – et sans connexion internet ni prise téléphone. Le loyer pratiqué par Paris Habitat y est démesuré et injustifié, mais n’ayant d’autre solution à court terme et espérant pouvoir négocier celui-ci, nous signons un bail de deux ans. Nous mobilisons alors les bénévoles afin d’effectuer des travaux de rénovation (maçonnerie, plomberie, carrelage, assainissement), pour rendre le local praticable, le tout à nos frais.
Depuis, nous essayons de faire notre part pour le droit à une alimentation de qualité dans le quartier le plus pauvre des parcs Paris Habitat en expérimentant avec ses habitants le modèle coopératif. Ce bailleur n’a jamais répondu à nos multiples demandes de négociation, malgré nos relances et ses engagements auprès de la Mairie du 20e. Il ne donne pas non plus d’explications sur les écarts flagrants entre les loyers des structures similaires dans le quartier. Persistant dans notre souhait d’obtenir des réponses, nous avons fait le choix de ne pas régler ce loyer en intégralité. Nous avons finalement contracté une dette qui nous empêche de trouver un autre local, nous freine pour toute demande de subvention et mobilise un temps de travail important de notre salariée et des bénévoles. On ne nous laisse aujourd’hui plus d’autre choix que la fermeture de notre coopérative et de son épicerie.
La Mairie du 20e
Malgré des encouragements au début de notre activité et un intérêt répété et affiché publiquement pour la question de l’alimentation durable dans les quartiers populaires, la Mairie du 20e – dont le maire est aussi le président de Paris Habitat – n’a jamais transformé son soutien oral en actes. Pire, son adjoint chargé de la politique de la ville répète qu’il nous faut déménager dans un quartier dont les habitants ont plus de pouvoir d’achat, une façon de ne pas reconnaître la nature de notre structure.
La Mairie de Paris
Quant à la mairie centrale, elle aura manqué plusieurs occasions de nous soutenir ces derniers mois malgré toutes nos alertes sur les difficultés rencontrées avec le bailleur. Avec d’abord la question du Budget Participatif, les Parisiens ayant voté pour cette initiative étant les premiers à être trompés sur la destination de cet argent public. Sans parler de l’arrêt soudain du versement de subventions touchées jusqu’à présent au nom de notre engagement social et de l’utilité publique reconnue de notre coopérative (agrément ESUS fin 2022).
Suite à notre récente campagne médiatique et nos interpellations officielles, le rendez-vous du 11 mai obtenu avec les cabinets en charge de la politique de la ville, de l’alimentation durable et de l’économie sociale et solidaire de la Mairie de Paris et du 20e, visait-il à nous faire taire le temps que nous ne puissions plus nous en sortir financièrement ?
Malgré l’urgence de la situation – la nôtre et celle d’une population précarisée vers laquelle nous nous tournons – et leur promesse de revenir vers nous, les élus et représentants de ceux-ci n’auront apporté aucune proposition pour nous aider à sortir de l’impasse. Depuis le 11 mai, la seule réponse que nous ayons reçue concerne le Budget Participatif et elle est négative. Notre relance du 20 mai, comprenant une nouvelle proposition de négociation avec le bailleur, a été tout simplement ignorée.
Notre collectif reste solidaire et déterminé à poursuivre son action pour l’accessibilité de l’alimentation durable, pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur.
À bientôt !
Aller plus loin : le conseil d’arrondissement du 20e, 22 juin 2023
Nous tenions par ailleurs à répondre aux accusations portées contre La Source lors du conseil d’arrondissement du 20e : disponible ici à partir de 1h28. Outre les sous-entendus mystérieux venant de personnes que nous n’avons jamais rencontrées, on nous reproche :
- de ne pas avoir livré nos comptes en temps et en heure, ce qui est mensonger, ceux-ci l’ont été et à plusieurs reprises, nos interlocuteurs à la mairie et à Paris Habitat prétendant de concert ne pas les recevoir…
- d’avoir refusé d’intégrer le WikiVillage, un cluster dédié aux entreprises sociales et solidaires dans le quartier Saint-Blaise (20e), alors que pour le dire brièvement (les échanges et rencontres se sont déroulés de 2019 à février 2023…) les plans initiaux avaient été modifiés et l’espace réservé à La Source n’était plus aux normes pour accueillir du public,
- “une mauvaise gestion”, sans plus de précision, ce qui continue d’alimenter les rumeurs jetant le discrédit sur les coopérateurs,
- d’avoir touché bien assez de subventions, ce reproche étant presque une mode aujourd’hui, mais rappelons que chaque subvention touchée a été le résultat d’un appel à projets mené par des bénévoles, qui a servi à des actions concrètes et a été justifiée auprès des services responsables.
- Il a aussi été rappelé combien les bailleurs sociaux faisaient d’efforts pour les structures comme la nôtre (étalement de la dette, loyer adapté…). Nous avons proposé toutes ces solutions sans qu’aucune ne soit retenue, ni même débattue.
On retiendra enfin le trait d’humour réalisé par le maire quant au soutien d’une élue au conseil d’arrondissement : “Je suis content que La Source ait trouvé un habitant du quartier qui la soutient, ça en fera au moins une.” Il traduit le mépris ambiant quant à notre initiative (et à cette représentante du quartier) et envers le travail des bénévoles, habitants du quartier, maraîchers et fournisseurs avec qui nous avons créé un lien de confiance et dont les témoignages sont à lire sur notre site.